La création de l'AFUL

Association Francophone des Utilisateurs de Linux et des Logiciels Libres.

Note: Plutôt que de faire une présentation officielle de l'AFUL, exercice difficile et susceptible d'être bien ennnuyeux, j'ai choisi de raconter sa création et ses débuts. Il s'agit bien entendu d'une vision tout-à-fait subjective, dont j'imagine qu'elle ne peut être que contestée. Mais la vérité n'est souvent qu'une juxtaposition de subjectivités.

Un peu de contexte historique

Printemps 1997. Le déploiement de Linux est en pleine croissance, mais son utilisation reste marginale et peu connue. Même aux Etats-Unis, ou le Linux Journal est publié depuis le printemps 1994, les articles sur Linux restent l'exception dans l'abondante littérature informatique.  En France, quasiment rien, sauf curieusement dans le  Monde (en mars 96, supplément télévision) et le Figaro (en Novembre 96), et quelques autres, notamment dans Informatiques Magazine. Il y a bien sûr les revues Dream et Stratos, mais qui se considèrent elles-mêmes, à cette époque, comme marginales (- le mot poli est "alternatives" :-). Les systèmes propriétaires alignent les points gagnants dans l'industrie, l'administration, l'enseignement/recherche, et les utilisations personnelles, même si c'est souvent plus par le bluff et le jeu de jambes que par la technique. Évoquer l'alternative Linux, ou FreeBSD et les logiciels libres en général auprès des responsables des entreprises ou de l'administration, n'attirent généralement que des commentaires sur la necessité d'être réaliste. Mais une partie n'est jamais perdue, ni gagnée, avant la balle de match.

En fait, la situation est en train d'évoluer rapidement. La bureautique sur Linux devient crédible grâce à Applix, Corel, Star Division et un ou deux autres éditeurs. Apache, relayé par les statistiques en temps réel de Netcraft, devient la star de l'Internet, crédibilisant à grande échelle l'usage commercial des logiciels libres. Le travail de fourmi des utilisateurs dans leurs entreprises commence à porter des fruits. Mais surtout, la communauté mûrit, et traite de plus en plus la diffusion des solutions libres de façon professionnelle. Cela se manifeste en particulier par un effort plus important pour le développement des interfaces graphiques, trop longtemps méprisées ou négligées par les experts, mais indispensables pour être crédible dans une industrie où l'expertise reste trop onéreuse, et surtout peu disponible.

Cela se manifeste aussi par un changement de ton dans la littérature. Les excellents articles de Richard Stallman s'attaquaient directement à la législation, aux accords internationaux sur la propriété industrielle/intellectuelle et les brevets. Mais, quel que soit la justesse du propos, cela ne menait souvent nulle part dans un contexte idéologique où l'économie semble primer toute autre considération. De nouveaux articles apparaissent, dont le plus connu est sans doute "La Cathédrale et le Bazar" d'Eric Raymond, qui cherchent plus à expliquer le phénomène des logiciels libres, leur intérêt économique et technique, leur mode de développement, sans remettre en cause le système juridique. Ils prolongent ainsi de façon pragmatique et médiatique le travail de Stallman qui, avec la GPL, utilise les mécanismes juridiques existants pour promouvoir les logiciels libres. Diverses listes de discussion (free-software for business, Linux business) analysent la viabilité économique du logiciel libre. Les premières études comparant (favorablement) les logiciels libres aux logiciels propriétaires sont publiées.

Dans un document largement diffusé en 1996 [http://www.crynwr.com/kchanges/gwv.html], Greg Wettstein donne sa vision de la situation: "Toute personne qui s'intéresse aux technologies de l'information réalise que nous sommes à une période charnière. Les décisions et les actions des prochains 8-16 mois détermineront si nos rêves d'une alternative aux mastodontes industriels du logiciel ont une chance de se réaliser."  Il ne croit pas si bien dire : NT4 est en train de sortir, avec ses dizaines de milliers de bogues (dixit Microsoft), et les insuffisances techniques que nous connaissons maintenant. Et au moins jusqu'à la sortie de NT5, sans cesse repoussée (maintenant au delà de l'an 2000 sous le nom Windows 2000), apparaît une fenêtre de lancement pour Linux et les logiciels libres.

En France

La France, qui a déjà de nombreuses contributions pionnières, voit le tissu associatif et ses sites web se développer rapidement, principalement autour des groupes d'utilisateurs de Linux et Free/Net BSD. L'association APRIL, déclarée en novembre 1996, défend les thèses de la Free Software Fondation de Richard Stallman, dont elle traduit de nombreux textes. L'équipe du Micro Bulletin du CNRS, en collaboration avec l'ENSTA, publie des études comparatives et encourage l'utilisation de Linux dans la recherche et l'enseignement supérieur. Divers autres projets, plus ou moins formalisés, sont lancés. Des forums et des sites web très actifs (Linux Center, Linux France) animent et informent la communauté des logiciels libres.
Mais cela ne semble pas atteindre les décideurs. Aucun écho dans la presse spécialisée ou généraliste. Si les États-Unis ont créé des organisations comme Linux International, il semble manquer en France une structure susceptible d'assurer une communication médiatique efficace, et surtout de développer une action de marketing auprès des décideurs responsables des nouvelles technologies, tout en structurant l'offre commerciale correspondante. Mais des contacts se nouent, sur l'Internet, pour pallier ce vide.

Les logiciels libres sont techniquement et intimement liés à l'Internet. En janvier 1998, à l'occasion des Journées de l'ISOC (Internet Society) France, association avec laquelle j'avais déjà collaboré, je suis invité par les organisateurs à présenter les logiciels libres.  Forum inespéré car cette manifestation attire les médias et nombre de responsables, politiques et économiques. Le discours libre avait mûri, et, cette fois, il est entendu, suffisamment pour que la vice-présidente du Club de l'Arche, Claudine Schmuck, suggère une manifestation sur les logiciels libres à l'occasion de la fête de l'Internet en mars 98. Ce sera la conférence-débat sur les enjeux économiques des logiciels libres, organisée par l'INRIA (Institut National de Recherche en Informatique et en Automatique) au Palais de la Mutualité. Elle sera en outre parrainnée par le MENRT, le Ministère de l'Education Nationale, de la Recherche et de la Technologie.

C'est au cours de cette conférence et de sa préparation que se rencontrent, souvent pour la première fois, plusieurs des fondateurs de l'AFUL. La création de l'association est annoncée à la fin de la conférence, et les statuts sont déposés le 5 mai.

Dans la même période, la participation pionnière de quelques éditeurs (bureautique, ou Adabase et Pick pour les bases de données) se voit renforcée par l'annonce de la "libération" de Netscape Navigator en février, puis de l'adoption des plates-formes libres par la plupart des grands éditeurs au cours de l'été. Tout cela ne manque pas de susciter un intérêt croissant des médias,

L'AFUL

Dès ses débuts, comme la conférence où elle est annoncée, l'association cherche à s'inscrire dans le tissu économique, seule façon pour ses fondateurs d'acquérir la crédibilité nécessaire à une réelle prise en compte des logiciels libres. Son objectif, selon les statuts, est de promouvoir, directement ou indirectement, les logiciels libres et en particulier les systèmes d'exploitation libres, principalement ceux respectant les normes POSIX ou dérivées, dont le plus connu est le système Linux muni de l'environnement logiciel issu du projet GNU, ainsi que l'usage des standards ouverts.  Mais il est évident que le champ des actions à entreprendre est vaste, et qu'une association comme l'AFUL ne peut travailler qu'en collaboration avec tous les autres acteurs présents, en se concentrant sur les aspects qui ont motivé sa création :

Six mois après sa création, l'AFUL semble avoir affirmé son rôle. Elle compte plus de 130 membres dont une dizaine de sociétés et une demi-douzaine d'associations, et a établi de nombreux contacts pour d'autres adhésions. Elle a participé à divers évènements :
Apple Expo à l'invitation d'Apple, présentation des logiciels libres à La Villette pendant la semaine de la Science, salon FAUST à Toulouse à l'invitation du CULTE, lancement d'une journée Linux nationale, et même participation à la Conférence Africaine de Recherche en Informatique (CARI'98) à Dakar. Plusieurs membres de l'AFUL interviennent régulièrement dans les média, directement ou indirectement, en collaborant avec des journalistes.

Mais surtout, l'AFUL a commencé à fédérer un certain nombre de sociétés afin de permettre à l'offre informatique libre d'atteindre une masse critique qui assoit sa crédibilité commerciale.

Enfin, last but not least, l'AFUL vient de signer un accord cadre avec le MENRT lui permettant de proposer les solutions informatiques libres aux établissements de l'éducation nationale, à égalité avec les offres propriétaires. Il faut maintenant organiser ou coordonner la collecte et la diffusion d'informations techniques, la préparation de solutions adaptées aux secteurs de l'éducation, les formations et bien d'autres choses.  Le vrai travail commence.
 

Bernard Lang
Directeur de Recherche à l'INRIA
Secrétaire de l'AFUL
Bernard.Lang@inria.fr
http://pauillac.inria.fr/~lang/libre

Réference
AFUL : www.aful.org
Apple expo : http://www.smets.com/it/apple-expo.html
APRIL : www.april.org/
CNRS (MIcro Bulletin) : www.lmb.cnrs.fr
CULTE : savage.iut-blagnac.fr/projets/faust1998/
INRIA : www.inria.fr
ISOC : www.isoc.asso.fr/AUTRANS98/tr-tech.htm
Linux France : www.linux-france.com
Linux Center : www.linux-center.org
MENRT : www.education.gouv.fr
CARI 98 : http://www.cari98.sn/edit_jeudi.htm
La cathédrale et le bazar : www.eleves.ens.fr/home/blondeel/traduc/Cathedral-bazaar/cathedrale.html
Netcraft: http://www.netcraft.co.uk/survey/
 

 


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