L'Association pour la Promotion et la Recherche en Informatique Libre (APRIL) a accueilli, le 10 novembre, Richard M. Stallman, président de la Free Software Fondation, et initiateur, en 1983, du projet GNU. Celui-ci a tenu une conférence de près de 3 heures devant plus de 200 personnes, dont de nombreux journalistes, pendant laquelle il a pu expliquer en détail l'histoire du projet GNU, les raisons pour lesquelles il a créé le projet GNU, et l'histoire de ces quinze dernières années (le texte de la conférence est disponible sur le site web d'APRIL).
Cette invitation n'est qu'un juste retour des choses. En effet, c'est en assistant à une conférence donnée en 1991 à l'université Paris 8 de Saint-Denis (ainsi qu'à l'INRIA) par Richard Stallman que les membres fondateurs d'APRIL (alors étudiants) prirent conscience de l'importance vitale de l'informatique libre (logiciels libres et standards ouverts).
Les membres fondateurs d'APRIL ont une véritable culture du logiciel libre, initiée au sein de l'université Paris 8; ceux-ci, étudiants à Paris 8, ont introduit à grande échelle les outils GNU dans l'université aux débuts des années 90. Aujourd'hui, les logiciels libres sont omniprésents dans le centre de calcul de l'université (GNU/Linux, Free/Net BSD ...).
En 1996, à la fin de leurs études, ils décidèrent de créer l'association APRIL dans le but de promouvoir auprès des professionnels, du grand public et des institutionnels (en France et en Europe), les logiciels libres.
L'objectif de l'association est à la fois d'informer le public sur les concepts de l'informatique libre (et plus précisément, ceux défendus par la Free Software Foundation), de participer activement au développement du logiciel libre et de monter des opérations de sensibilisation.
L'association a mis en place plusieurs groupes de travail pour gérer ses différents projets : écriture de documentation, traductions, conférences techniques, entretien avec des personnalités, tests de logiciels libres ... En outre, APRIL organise régulièrement des manifestations sur l'informatique libre (Install Party, conférences ...). La plupart des groupes de travail sont publics, et même des personnes extérieures à l'association peuvent participer en s'inscrivant sur la liste de diffusion correspondante au projet. Par ailleurs, APRIL encourage vivement la participation à des groupes de développement de logiciels libres, et également à la localisation des logiciels libres (francisation par exemple).
Parmi les membres de l'association, on trouve des professionnels de différentes sociétés ou administrations, des chercheurs, des enseignants, des étudiants, ainsi que des informaticiens.
Cibles
Parmi les cibles privilégiées d'APRIL, les entreprises (PME/PMI), l'administration, l'éducation, sans oublier le grand public.
- Entreprise : Notre choix de se concentrer sur l'entreprise et les administrations n'est pas un hasard, et non seulement parce que plusieurs d'entre nous utilisent l'informatique libre de manière professionnelle. Mais aussi, pour introduire l'informatique libre en entreprise ou dans les administrations, et cela permet aussi de créer des besoins en spécialistes de l'informatique libre (et donc des besoins de formation).
Initier un marché de techniciens compétents dans les domaines de l'informatique libre permettra de donner à celle-ci une impulsion supplémentaire. Tout d'abord en créant des besoins de formation (et donc en augmentant les structures de formation en informatique libre), mais aussi en faisant augmenter le développement de logiciels libres en entreprise. Plus les logiciels libres seront utilisés en entreprise, et plus les besoins seront remplis par des développeurs au sein de leur entreprise.
Mais cela n'est bien sûr possible que si l'implantation de l'informatique libre en entreprise ne se limite pas à un rôle purement technique, et s'accompagne d'un discours illustrant l'éthique du monde de l'informatique libre.
- Éducation : Autre cible privilégiée : l'éducation. L'éducation est ce qui nous permettra de gagner la bataille de l'informatique libre sur le long terme. Il est illusoire de prôner les solutions libres sans accompagner leur évolution de formations correctes.
D'un point de vue pratique, non seulement l'aspect ouvert de l'informatique libre est un atout majeur pour l'apprentissage des techniques informatiques, mais, de plus, le coût peu onéreux des solutions libres permet d'implanter un système informatique dans des structures à budget réduit (APRIL a ainsi équipé le collège Jean Lurcat de Saint-Denis de machines GNU/Linux, permettant avec un budget très réduit de faire découvrir l'informatique et l'Internet aux élèves).
Il est de plus impensable que les professionnels de demain, ou même les simples utilisateurs d'outils informatiques, soient prisonniers, dès leur formation initiale, de logiques propriétaires et de systèmes fermés. Non seulement ils seront sous l'emprise de l'éditeur qui a eu le privilège d'imposer ses standards lors de leur parcours scolaire, mais, de plus, ils seront moins réceptifs aux solutions libres, car cela impliquera pour eux une profonde remise en question.
Un logiciel n'est jamais rien d'autre qu'un raisonnement, traduit dans un langage de programmation, destiné à traiter de l'information. De ce fait, les principes fondateurs des logiciels libres sont difficilement séparables de ce qui fonde la recherche scientifique et technique, l'éthique des logiciels libres se fondant dans celle de la science et de l'école. La science ne peut donc fonctionner qu'à la condition que les protocoles, les références, les sources des raisonnements soient rendus publics, afin qu'une communauté puisse les valider.
Le concept même de système d'exploitation propriétaire, la mainmise de l'Education Nationale, dans l'enseignement secondaire, par une multinationale du logiciel sont incompatibles avec les principes mêmes de l'école. Il importe que les sources des produits informatiques soient disponibles afin que les futurs citoyens ne soient pas dépendants d'une seule multinationale du logiciel, et c'est une des conditions de la pérennité des savoirs.
Le problème auquel doit faire face la communauté de l'informatique libre est la formation du corps enseignant à ces nouvelles technologies. Nous devons initier le mouvement, mais l'Education Nationale devra prouver son attachement récent aux logiciels libres en proposant elle-même des formations aux nouvelles technologies de l'informatique libre.
Les élèves ou étudiants d'aujourd'hui sont les professionnels de demain. Il ne faut pas négliger leur formation, faute de quoi la relève ne sera pas assurée pour faire avancer l'informatique libre de demain.
A l'occasion de la semaine des logiciels libres organisée par APRIL (avec l'AFUL et l'École Ouverte de l'Internet), à la Cité des Sciences et de l'Industrie du 3 au 11 octobre dernier, une classe du collège Jean Lurcat a démontré, avec son professeur Charlie Nestel (membre actif d'APRIL dans le domaine de l'éducation), la validité de l'utilisation de logiciels libres dans l'Education Nationale.
100% Libre
APRIL défend l'informatique libre dans son intégralité, et non pas une seule solution basée sur du logiciel libre. L'association s'attache à la promotion des environnements de travail 100% libres. Recourir à des solutions propriétaires (même gratuites) pour combler leurs trous, introduit du code propriétaire en leur sein et laisse ainsi entendre que le monde du logiciel libre est incapable de produire ce type de logiciels, mais surtout, décourage le développement d'un applicatif similaire 100% libre ("pourquoi développer une suite bureautique s'il en existe déjà une de disponible au grand public ?"), dont les spécifications sont librement accessibles et qui utilisent des standards ouverts. Nous devons combler ces manques par du développement, ou encore, en faisant tout pour faciliter ce développement. Il faut encourager les éditeurs de logiciels à libérer le source de leurs produits (par exemple sous la Licence Publique Générale (GPL)), et à utiliser des standards ouverts.
Nous nous attachons de plus à une informatique libre aux multiples visages, et c'est pourquoi nous ne nous limitons pas à la promotion du noyau Linux, même si c'est un de nos chevaux de bataille. Un système d'exploitation, si bon soit-il, n'est qu'un outil destiné à faire fonctionner des applicatifs. Si nous voulons proposer les logiciels libres comme une solution pérenne, nous ne devons pas nous reposer seulement sur le système GNU/Linux. Nous devons pouvoir présenter des alternatives, et nous devons aussi rester à l'affût des futurs successeurs du noyau Linux. Le noyau temps réel HURD du projet GNU est encore loin d'être vraiment stable, mais la FSF a l'ambition de terminer le projet.
Mais ne vanter que les mérites techniques des logiciels libres en négligeant leur "philosophie" conduit à une impasse. Nous ne devons pas nous contenter de la supériorité technique indéniable de l'informatique libre, nous devons aussi faire passer son éthique. Sans cela, non seulement les arguments utilisés en faveur de l'expansion du logiciel libre se retrouveront vite obsolètes, mais de plus ce serait négliger ce qui fait réellement vivre l'informatique libre : la Liberté.
APRIL et la FSF
APRIL entretient d'excellentes relations avec la FSF et Richard Stallman. Nous avons eu l'occasion de travailler ensemble à plusieurs reprises, et plusieurs groupes de travail d'APRIL sont en relation directe avec la FSF : le groupe de travail "traduction de la philosophie GNU" traduit des textes de la FSF dans le but d'introduire celle-ci en France et de la faire comprendre. Nous traduisons actuellement un manuel technique de GNU, nous offrons un service de mise en ligne de la documentation GNU sur notre site web, et nous avons d'autres projets en préparation.
APRIL partage de nombreux points de vue avec la FSF en matière de logiciel libre, c'est pourquoi nous attachons beaucoup d'importance à la promotion des idées de la FSF en France.
Futur
En 1999, de nombreux projets seront organisés et d'importantes manifestations auront lieu dans toute la France. Des discussions ont lieu actuellement pour l'organisation, par différentes associations, des "dimanches du libre", une fois par mois, à la Cité des Sciences et de l'Industrie. De nombreux projets dans le domaine de la formation vont voir le jour. Ainsi, le département Informatique Pour Tous de l'université Paris 8, chargé de fournir une formation de base aux outils informatiques à tous les étudiants (25 000 environ), a pour projet de passer 50 % de son système sous logiciels libres, avec l'aide de l'association. Ainsi, un très large public pourra recevoir une formation de base aux logiciels libres.
Maintenant, il reste encore beaucoup de travail dans des domaines tels que les problèmes de législation sur les logiciels, la documentation libre ou encore la réflexion du concept de la GPL appliqué au contenu. n
Frédéric Couchet, Ingénieur Projet - Cap Gemini Président d'APRIL fcouchet@april.org
References
APRIL :
www.april.org
Free Software Foundation / Projet GNU : www.gnu.org
Association Francophone pour la promotion de Linux et des Logiciels Libres : www.aful.org
École Ouverte de l'Internet : www.ecole.eu.org
Collège Jean Lurcat :
www.babelweb.org/lurcat/
Cite des Sciences et de l'Industrie :
www.cite-sciences.fr